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Si vous pensez que la contemplation vaut mieux que l’action, pourquoi m’imposez-vous ces terribles actes de guerre ?
Extrait des
Entretiens zavatariens avec l’Avata
Queets Twisp, dit l’Ancien.
Mack attendait que la sécurité le rappelle lorsque ses instruments indiquèrent soudain une série d’explosions réparties un peu partout dans le gisement de varech du secteur 8.
Flatterie n’a pas eu la patience d’attendre. Il veut à tout prix mettre la main sur ce qu’il y a là-bas.
Il était persuadé que Crista Galli était pour quelque chose dans ces événements. Les instruments mettaient en évidence des interférences entre le varech apprivoisé qui avait été blessé et l’énorme gisement sauvage voisin de varech bleu. Alyssa Marsh et lui avaient eu l’occasion d’effectuer quelques recherches ponctuelles sur ce gisement, qui était le plus vaste de Pandore à l’état sauvage.
Il a appris à se dissimuler à nos instruments de détection en formant des circonvolutions et en se maintenant à l’intérieur d’un cercle de varechs domestiques pour y dépasser leur masse en toute tranquillité.
Maintenant qu’il agissait à découvert, Mack soupçonnait le varech bleu d’être capable de causer des ravages dans le Contrôle des Courants. Et s’il était aussi étendu que l’annonçait la Grille Maîtresse, il s’était peut-être même tout simplement substitué au Contrôle des Courants.
Si ce varech est de notre côté, Flatterie est cerné de toutes parts. Mais si ce n’était pas le cas ?
Sa préoccupation première, cependant, était Béatriz. Elle venait toujours le voir dès qu’elle débarquait sur la station, mais elle ne s’était pas encore manifestée cette fois-ci. Quand la liaison était coupée avec le studio, on pouvait soupçonner le pire. Cela ne ressemblait pas du tout à Béatriz, de ne pas donner signe de vie. Juste après le départ de Spud, un pilote de spin-jet avait émis un message disant qu’il avait vu un corps humain éjecté du sas de la navette. Personne n’avait répondu à ses appels, ni au studio, ni à la sécurité.
Merde !
À présent, la Grille Maîtresse captait un signal en provenance du varech. Il était d’une clarté et d’une vigueur incroyables. Ce gisement, que les grenades sous-marines avaient fait régresser à un état végétatif, avait immédiatement retrouvé toute la plénitude de ses moyens, accompagnée d’un changement de fréquence.
Voilà sans doute le nouveau varech, celui qui a absorbé les souvenirs de nos espèces apprivoisées et qui les a soumises à son contrôle.
Tous les relais qui servaient à communiquer avec le varech domestique étaient intacts, mais au lieu des douzaines de fréquences qui dansaient habituellement sur les écrans de la Grille Maîtresse, il n’y en avait maintenant plus qu’une seule.
L’écran de Mack montrait la grille en train de se reconstituer, à l’exception d’un secteur insensible situé au nord-ouest. Il espérait que l’élagage n’avait pas été poussé trop loin.
Jusqu’à présent, on dirait qu’il est plutôt de notre côté.
Mack avait eu l’intention de se servir du Contrôle des Courants pour retourner le varech contre Flatterie. Il avait préparé autant de gisements sentients qu’il avait pu en prévision du jour où Flatterie dépasserait les limites et où il faudrait lui porter un grand coup. Pour Macintosh, la guerre était une drogue génératrice de dangereuses accoutumances et il ne voulait pas que les Pandoriens s’y adonnent.
— Branchez-moi sur ce secteur en mode visuel, dit-il dans son moniteur. Nous devrions pouvoir les localiser, à présent.
Tout ce qu’il obtint sur son écran, cependant, fut le tourbillon de grisaille dû à la tempête quotidienne qui interdisait toute observation du secteur. Ozette, LaPush et Crista Galli devaient se trouver quelque part là-dessous. Il espérait, contre toute raison, que les grenades sous-marines ne les avaient pas tous réduits en bouillie.
Les lignes com avec le studio sont toujours en place. Si Spud n’y va pas tout de suite, nous pourrions essayer d’attirer leur attention d’une manière ou d’une autre.
Une sensation plus étrange que l’apesanteur lui étreignit momentanément le ventre. Il la chassa comme il avait chassé le froid glacé qui l’avait envahi juste après l’accostage de la navette qui amenait Béatriz. Il se demandait combien de personnes étaient arrivées en même temps qu’elle. Ces navettes pouvaient transporter trente à quarante personnes, selon le matériel dont elles étaient chargées. Il y avait aussi le N.P.O. avec son appareillage et son équipe de techs. Personne à bord ne pouvait ignorer ce qui se passait.
Il n’aimait pas penser à ce N.P.O., ni à ses origines, ni à ce que Flatterie lui avait fait. Il savait qu’il s’agissait d’Alyssa, mais il préférait « N.P.O. », c’était un concept plus commode à manipuler pour le moment. Quant à l’appareillage destiné à assurer le maintien de ses fonctions vitales, il était sous sa responsabilité directe, comme il l’était déjà à bord de la nef Terra. Et il n’y avait pas, à son goût, de quoi en être fier.
— De toute manière, murmura-t-il entre ses dents pour lui tout seul, avant que nous n’en soyons là, j’aurai sans doute quelques surprises en réserve pour Flatterie.
Une tonalité discrète se fit entendre dans la tourelle, indiquant qu’une image était en train de se former dans le foyer holo réservé au varech. Macintosh avait installé ce foyer avec l’assistance technique de Béatriz, spécialiste de l’holographie. Il l’avait relié à la Grille Maîtresse dans l’espoir de recevoir des images du varech. Et depuis deux mois que ce dispositif était expérimenté, il avait de loin dépassé tout ce que Macintosh avait pu rêver.
Le varech était demeuré très longtemps frustré et il avait beaucoup de choses à dire. Jusqu’à présent, il n’y avait eu que des images, des lumières intermittentes et des bruits bizarres. Mais les images avaient une clarté surprenante et consistaient généralement en informations précises sur des faits réels et en temps réel alors que les bruits et les lumières ressemblaient, par leurs inflexions, à du « bavardage » ou à des considérations philosophiques. Il n’avait pas encore réussi à interpréter autre chose que les images dont le sens était le plus évident.
Il se propulsa, à travers le petit bureau, en direction de ses nouvelles installations à la base de la tourelle. Il n’appréciait pas particulièrement l’absence quasi totale de gravité due à la proximité du moyeu, mais c’était l’emplacement le plus logique pour un poste d’observation. Et il avait été séduit, au début, par l’accès direct au débarcadère des navettes.
Pour pouvoir profiter de la gravité presque normale de la périphérie, il fallait en outre s’accommoder du désagréable mouvement giratoire d’une période de deux minutes, qui rendait toute observation visuelle pratiquement impossible. Avec sa carcasse dégingandée, il avait déjà assez de mal à se déplacer sans se cogner partout. Et depuis qu’il connaissait Béatriz Tatoosh, il appréciait aussi l’accès direct aux studios de l’holovision.
Le foyer holo expérimental montrait l’image d’une gyflotte géante portant son lest au ras des flots. La qualité de cette représentation dépassait tout ce qu’il avait pu voir jusque-là. La réduction était parfaite et les recoupements des données permettaient d’identifier là la source des perturbations qui affectaient le varech.
Un reflet de lumière sur la masse de lest attira soudain l’attention de Mack sur la petite scène en trois dimensions.
— Ce n’est pas un rocher !
La scène holo en miniature était celle du Poisson-Volant emporté par la gyflotte. Mack la suivit avec attention jusqu’au moment où la gyflotte se rapprocha du bord de la falaise. Elle allait vite et, quand il vit qu’elle n’allait pas passer, il se prit à se hisser sur la pointe des pieds comme pour l’aider à s’élever. Puis la gyflotte éclata et le foyer holo devint gris.
Il y a un Oracle dans la région, se dit Mack. On pourrait envoyer une équipe de sauvetage sur les lieux.
Il se propulsa de nouveau jusqu’à son pupitre et appela Spud à l’interphone. C’est alors que toutes les sirènes d’alarme se déchaînèrent en même temps à bord de la station.
Quatre coups prolongés signifiaient qu’un incendie s’était déclaré quelque part dans le secteur du moyeu, précisément celui où il se trouvait. Il songea tout de suite au débarcadère de la navette, avec ses réserves de carburant.
Les quatre coups de sirène pouvaient aussi concerner le Contrôle des Courants ou les studios de l’holovision. Les trois secteurs s’étaient isolés automatiquement du reste de la station. Des lumières rouges clignotaient partout et l’interphone de l’Orbiteur répétait inlassablement : « Combinaisons étanches obligatoires dans tous les secteurs isolés. En cas d’incendie, l’atmosphère sera évacuée. Combinaisons étanches obligatoires dans tous les secteurs isolés…»
Macintosh tapa sur son pupitre la phrase codée qui signifiait : « Rien à signaler dans ce secteur après observation visuelle. » Si les détecteurs ne signalaient aucun danger d’incendie, l’atmosphère du Contrôle des Courants ne serait pas vidée. Il ouvrit l’armoire de sécurité près de la porte ovale et se conforma aux prescriptions en cas d’incendie. Il revêtit un scaphandre pressurisé et mit en marche le communicateur de son casque. Puis il sortit dans la coursive juste à temps pour voir un malabar de la sécurité assener à Spud, avec la crosse de son laser, un coup violent en travers de la joue. Spud heurta la porte ovale et le garde agrippa une poignée de maintien plus proche pour mieux recommencer.
— Arrêtez ! hurla Macintosh.
Mais la crosse vola de nouveau et Spud flotta, inanimé, au milieu de la coursive.
Réglant son système com sur la position « maximum », Macintosh répéta :
— Arrêtez ! Je vous ordonne de laisser cet homme !
Le garde débarquait visiblement sur la station et il n’avait pas encore la pratique nécessaire pour se déplacer facilement dans le secteur du moyeu. Il voulut se retourner en entendant la voix et perdit la prise qu’il avait sur la poignée. Sous une gravité presque nulle, ce mouvement le fit dériver, tournoyant sur lui-même, en direction de Macintosh. Il laissa échapper son laser en agitant les bras pour retrouver son équilibre et Mack s’en empara au passage d’un mouvement vif tandis que l’homme continuait à flotter vers l’autre extrémité de la coursive.
Il se pencha vers Spud, qui commençait à reprendre conscience.
— Je les ai entendus dire qu’ils voulaient la tuer, murmura péniblement Spud, la bouche pleine de sang. J’ai déclenché l’alarme parce que je ne savais pas quoi faire d’autre.
— Excellente initiative, Spud, lui dit Macintosh. Mettez votre scaphandre, pour le cas où ils videraient l’atmosphère.
La brigade de volontaires anti-incendie encombrait déjà la coursive lorsque Spud acheva de revêtir sa combinaison pressurisée. Derrière eux se formait la foule habituelle. Malgré leur costume encombrant, les hommes de la brigade se déplaçaient avec une légèreté que Mack enviait. Il se tourna pour chercher des yeux le propriétaire du laser, mais il avait disparu. La porte des studios demeurait verrouillée.
Mack brancha son communicateur directement sur le casque de Spud.
— Béatriz est au courant des consignes de sécurité, dit-il. Elle a dû mettre son scaphandre.
— Est-ce qu’elle connaît aussi le code R.A.S. visuel ? demanda Spud.
— Elle le connaît, mais je pense qu’elle se gardera bien de l’utiliser.
Il fallait que deux conditions soient réunies, en cas d’incendie, pour empêcher que l’atmosphère d’un secteur ne soit évacuée automatiquement. L’ordinateur central de l’Orbiteur devait recevoir un signal des détecteurs indiquant que tout était normal, plus un signal codé résultant d’une observation visuelle. Comme les capteurs du studio n’avaient probablement décelé aucun incendie, l’ordinateur devait attendre la phrase codée indiquant qu’un être humain avait évalué la situation et décidé qu’il n’y avait aucun danger. Tant que ce message ne serait pas émis, le secteur suspect demeurerait isolé et seule la brigade de lutte anti-incendie pourrait y avoir accès.
Le haut-parleur hurla à ce moment-là :
— Attention, secteur du moyeu, zones orange huit à seize. Évacuation de l’atmosphère dans trois minutes. Je répète, évacuation de l’atmosphère dans trois minutes. Scaphandres pressurisés obligatoires.
La clé électronique utilisée par la brigade anti-incendie pour ouvrir les portes étanches ne fonctionna pas à la première tentative, ni à la deuxième. Macintosh brancha son communicateur directement sur la prise de la paroi pour entrer en contact avec le studio.
Spud se brancha sur Macintosh.
— Vous entendez quelque chose ? demanda-t-il.
— Rien que des parasites, fit Mack en secouant la tête. J’ai l’impression, qu’ils sont tous…
À la troisième tentative, la porte ovale s’écarta pour livrer passage aux hommes de la brigade qui s’engouffrèrent dans les studios, suivis de Macintosh qui serrait le laser contre lui pour le cacher de son mieux. Il ne regrettait pas de l’avoir gardé.
Béatriz était la seule qui avait réussi à mettre un scaphandre. Elle se tenait juste à côté de la porte et agrippa le bras de Macintosh au passage. Emporté par son élan, il décrivit un mouvement circulaire, heurtant la paroi à côté d’elle. Mais elle se maintenait fermement à une poignée de l’autre main et ils demeurèrent à la même place.
Les autres étaient en train de lutter avec les fermetures de leurs combinaisons, surpris par la soudaineté de l’arrivée des pompiers. L’un de ceux qui se trouvaient déjà dans les studios fit une tentative maladroite pour se précipiter vers la paroi du fond, mais il fut intercepté par deux sapeurs qui l’immobilisèrent avec l’aide d’une poignée murale. Macintosh fit en sorte que tout le monde voie bien son laser et que personne ne tente rien d’inconsidéré.
Moins d’une minute plus tard, la brigade anti-incendie et Mack avaient la situation bien en main. Le code R.A.S. visuel avait été envoyé à l’ordinateur et les haut-parleurs avaient annoncé la fin de l’alerte. Macintosh commença à défaire son casque, mais Béatriz fut plus rapide que lui.
— Ils ont massacré toute mon équipe ! hurla-t-elle. Ils ont tué les gardes et ils ont caché leurs armes dans les armoires de fer qui sont là-bas.
L’un des pompiers se laissa flotter jusqu’au fond du studio pour dénicher les armes.
— Occupez-vous de ces hommes, ordonna Macintosh, et emparez-vous de leurs lasers. Nous en aurons probablement besoin.
Les hommes de la brigade se servirent des différentes cordes et sangles qu’ils avaient dans les poches de leurs combinaisons pour ligoter Léon et ses deux acolytes. Ils étaient incapables d’offrir la moindre résistance sous une gravité proche de zéro alors que les sapeurs y étaient parfaitement habitués. Macintosh ne pouvait s’empêcher d’admirer la grâce et l’efficacité de leurs mouvements, même avec trois prisonniers à la remorque.
Blottie contre lui, Béatriz, ayant ôté son casque, l’embrassait tant bien que mal. Malgré l’épaisseur des scaphandres, il avait presque l’impression de sentir la chaleur de son corps.
— J’espérais pouvoir faire cela dans des circonstances un peu plus commodes, dit-il.
Il la sentait trembler et il l’attira un peu plus contre lui.
— Il y en a d’autres, lui dit-elle. J’en ai compté vingt-deux en tout. Je pense que leur chef, le capitaine Brood, doit être en ce moment avec le N.P.O.
— Tu as entendu, Spud ?
— Oui, docteur.
— Avec tout ce remue-ménage, quelqu’un va finir par descendre voir ce qui se passe ici. Isole tout le secteur jaune du moyeu. Accès codé uniquement. Il est possible que nous en enfermions une poignée ici avec nous, mais cela nous donnera le temps de nous préparer à affronter le reste.
Spud s’installa devant le pupitre le plus proche et exécuta l’ordre en un clin d’œil. Macintosh se tourna vers le sapeur qui portait une combinaison blanche.
— Il y a une grande resserre vide de l’autre côté de la coursive. Enfermez-y ces hommes et venez me retrouver dans le labo expérimental voisin du Contrôle des Courants. Si vous trouvez des armes appartenant à nos propres forces de sécurité, apportez-les avec vous. Je veux aussi que vous rassembliez vos meilleurs sapeurs de choc. Tous ceux que vous pourrez trouver.
— Très bien, fit Spud. Mais vous avez vu comme ces hommes sont mal à l’aise sur la station. Aucun n’est habitué à nos conditions de vie. Ne pensez-vous pas que nos meilleures armes sont le vide et l’absence de gravité ?
— Vous avez parfaitement raison, déclara Macintosh en prenant la main de Béatriz, mais un peu de stratégie ne nous sera pas non plus inutile. Au travail !